samedi 29 mai 2010

Socrate et la vérité


"Si, en effet, l’opinion que chacun se forme par la sensation est pour lui la vérité, si l’impression d’un homme n’a pas de meilleur juge que lui-même, et si personne n’a plus d’autorité que lui pour examiner si son opinion est exacte ou fausse ; si, au contraire, comme nous l’avons dit souvent, chacun se forme à lui seul ses opinions et si ces opinions sont toujours justes et vraies, en quoi donc, mon ami,Protagoras était-il savant au point qu’on le croyait à juste titre digne d’enseigner les autres et de toucher de gros salaires, et pourquoi nous-mêmes étions-nous plus ignorants, et obligés de fréquenter son école, si chacun est pour soi-même la mesure de sa propre sagesse ?
Pouvons-nous ne pas déclarer qu’en disant ce qu’il disait, Protagoras ne parlait pas pour la galerie ? Car examiner et entreprendre de réfuter mutuellement nos idées et nos opinions, qui sont justes pour chacun, n’est-ce pas s’engager dans un bavardage sans fin et s’égosiller pour rien, si la Vérité de Protagoras est vraie, et s’il ne plaisantait pas quand il prononçait ses oracles du sanctuaire de son livre ? "(Platon, Théétète)
" - Rappelle-toi, par exemple, ce qui a été dit précédemment, que les aliments paraissent et sont amers au malade et qu’ils sont et paraissent le contraire à l’homme bien portant. Ni l’un ni l’autre ne doit être représenté comme plus sage — cela n’est même pas possible — et il ne faut pas non plus soutenir que le malade est ignorant, parce qu’il est dans cette opinion, ni que l’homme bien portant est sage, parce qu’il est dans l’opinion contraire. Ce qu’il faut, c’est faire passer le malade à un autre état, meilleur que le sien. De même, en ce qui concerne l’éducation, il faut faire passer les hommes d’un état à un état meilleur ; mais, tandis que le médecin le fait par des remèdes, le sophiste le fait par des discours.
Jamais en effet on n’est parvenu à faire qu’un homme qui avait des opinions fausses ait ensuite des opinions vraies, puiqu’il n’est pas possible d’avoir des opinions sur ce qui n’est pas, ni d’autres impressions que celles que l’on éprouve, et celles-ci sont toujours vraies. Mais je crois que,lorsqu’un homme, par une mauvaise disposition d’âme, a des opinions en conformité avec cette disposition,en changeant cette disposition contre une bonne, on lui fait avoir des opinions différentes, conformes à sa disposition nouvelle, opinions que certains, par ignorance, qualifient de vraies. Moi, je conviens que les unes sont meilleures que les autres, mais plus vraies, non pas (ibid.)"
"- Lorsque tu as formé par-devers toi un jugement sur quelque objet et que tu me fais part de ton opinion sur cet objet, je veux bien admettre, suivant la thèse de Protagoras, qu’elle est vraie pour toi ; mais nous est-il défendu, à nous autres, d’être juges de ton jugement, ou jugerons-nous toujours que tes opinions sont vraies ? Chacune d’elles ne rencontre-t-elle pas, au contraire, des milliers d’adversaires d’opinion opposée, qui sont persuadés que tu juges et penses faux ?
THÉODORE - Si, par Zeus, Socrate : j’ai vraiment, comme dit Homère, des myriades d’adversaires, qui me causent tous les embarras du monde.
SOCRATE - Alors veux-tu que nous disions que tu as des opinions vraies pour toi-même, et fausses pour ces myriades ?
THÉODORE - Il semble bien que ce soit une conséquence inéluctable de la doctrine.
SOCRATE - Et à l’égard de Protagoras lui-même ? Suppose qu’il n’ait pas cru lui-même que l’homme est la mesure de toutes choses, et que le grand nombre ne le croie pas non plus, comme, en effet, il ne le croit pas, ne serait-ce pas alors une nécessité que la vérité telle qu’il l’a définie n’existât pour personne ? Si, au contraire, il l’a cru lui-même, mais que la foule se refuse à le croire avec lui, autant le nombre de ceux qui ne le croient pas dépasse le nombre de ceux qui le croient, autant il y a de raisons que son principe soit plutôt faux que vrai.
THÉODORE - C’est incontestable, si l’existence ou la non-existence de la vérité dépend de l’opinion de chacun.
SOCRATE - Il en résulte en outre quelque chose de tout à fait plaisant, c’est que Protagoras reconnaît que, lorsque ses contradicteurs jugent de sa propre opinion et croient qu’il est dans l’erreur, leur opinion est vraie, puisqu’il reconnaît qu’on ne peut avoir que des opinions vraies.
THÉODORE - Effectivement.
SOCRATE - Il avoue donc que son opinion est fausse s’il reconnaît pour vraie l’opinion de ceux qui le croient dans l’erreur ?
THÉODORE - Nécessairement.
SOCRATE - La vérité de Protagoras sera donc révoquée en doute par tout le monde, à commencer par lui, ou plutôt Protagoras avouera, dès lors qu’il reconnaît pour vraie l’opinion de ceux qui le contredisent, il avouera lui-même, dis-je, que ni un chien, ni le premier homme venu n’est la mesure d’aucune chose, s’il ne l’a pas étudiée. N’est-ce pas exact ?
THÉODORE - C’est exact.
SOCRATE - Donc, puisqu’elle est contestée par tout le monde, la vérité de Protagoras n’est vraie pour personne, ni pour tout autre que lui, ni pour lui.
Le principe le plus certain de tous et à propos duquel il est impossible de se tromper….le voici : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps au même sujet et sous le même rapport » (Aristote, Métaphysique, Livre Gamma, 3) 
(On doit s’opposer également) au système de Protagoras. En effet, d’un côté, si toutes les impressions et toutes les opinions sont vraies, il est nécessaire que tout soit en même temps vrai et faux ; un grand nombre d’hommes, en effet, ont des conceptions contraires les unes aux autres, et ils estiment que ceux qui ne partagent pas leur opinion sont dans l’erreur, de sorte que nécessairement, la même chose doit à a fois être et n’être pas. D’un autre côté, s’il en est ainsi, toutes les opinions doivent être vraies, car ceux qui sont dans l’erreur et ceux qui sont dans la vérité ont des opinions opposées ; si donc les choses elles-même sont comme cette conception le soutient, tous nous seront dans la vérité." (Aristote, Métaphysique, Livre Gamma,5

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